juin 2016

«Ici, il y a une vraie culture electro»

Rencontre avec Bruno alias Mem Pamal, quelqu'un qui a vécu toute l'histoire du mouvement techno.

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Mem Pamal : un artiste ayant à son actif une soixantaine de vinyls et un label (Fantomatik records). Une référence dans le milieu de la techno. Originaire de Saint-Etienne, il a vécu en Franche-Comté de 2010 à aujourd’hui, notamment en raison de la scène locale. 

Plutôt techno ou electro ?
Je dirais plutôt techno musicalement parlant. Dans la techno, il n’y a pas de chant, pas de groupe, cela reste un outil de DJ, très binaire, un kick, des basses. Alors que l’electro peut être associée à d’autres genres musicaux, à des instruments, mêmes acoustiques, à des voix. On peut aussi parler d’origines : la techno est tout ce qui vient de Detroit et tous les DJs s’y réfèrent encore. L’electro serait plutôt faite des courants venant d’Allemagne. On a Detroit et Berlin, les deux sources principales des musiques électroniques. Mais si on parle histoire, avec l’electro on remonte beaucoup plus loin que les débuts de la techno. A un moment il y a eu une fracture. Dans le milieu des free parties, il faudrait rester underground alors on utilise le terme techno… Cette séparation n’existe pas trop en Franche-Comté. Et personnellement, je ne fais pas trop de différence. J’écoute tout, je ne crache sur personne. Il faut dire aussi qu’il y a eu une multiplication des termes et electro désigne également un genre de techno ! Les sous-genres se sont multipliés. Quand j’ai commencé, il y avait techno, hardcore et drumnbass.

De l’extérieur, la distinction entre rave et free party n’est pas non plus  toujours évidente.
Au départ, on parlait même de teknivals : des travellers qui se retrouvaient à un endroit donné et sortaient leurs sons. Ce n’était pas forcément de la techno même si en France, ça s’est focalisé sur ce style. En République tchèque par exemple, il y en avait un spécifiquement ska. Ensuite, on a parlé de free party et de rave, un terme que l’on se remet à utiliser aujourd’hui. Les définitions sont floues et variables. La rave a un côté plus exclusivement musical alors qu’une free party peut agréger d’autres éléments. Il faut ajouter que free ne signifie pas gratuit mais libre. En principe, pour participer, chacun donne ce qu’il peut, même s’il y a un prix fixé à l’entrée. Il y a un esprit de partage. En général, celui qui n’a pas assez peut quand même entrer.

Comment es-tu arrivé dans ce milieu ?
Par hasard. En voyage scolaire en Angleterre, j’ai acheté des K7 au hasard. Je suis revenu avec des sons incroyables, inconnus alors en France. Du breakbeat, les débuts de Prodigy. J’ai fait mes premières fêtes dans des hangars, acheté mes premiers disques :  Laurent Garnier et le label FCommunications,  Scan X,  Lunatic Asylum, les productions du label belge Bonzai Records. Puis j'ai acheté mes premières platines. Je mixais à la maison, mais il faut un certain moment avant de savoir gérer. J’ai vraiment commencé comme DJ vers 94 en étant résident dans un bar à Saint-Etienne et j’ai sorti mes premiers vinyls en 98. Je crois que j’ai toujours eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment. Ensuite, j’ai créé mon label Fantomatik Records pour produire d’autres gens. Je trouvais qu’il y avait tellement de talents cachés que j’ai eu envie de les aider. A l’époque, je gagnais ma vie avec la musique. Mais j’ai un peu changé de vie et depuis un certain temps, je ne suis plus trop productif dans le domaine musical. Il n’est d'ailleurs pas rare de voir des labels faire des pauses.

Est-ce la musique qui t'a fait venir en Franche-Comté ?
En grande partie. Quand j’étais dans l'Aveyron, je jouais pas mal à Strasbourg, en Allemagne, en Belgique, en Hollande, j’avais un manager à Leipzig, alors venir à Besançon m’a permis de me rapprocher. Quand je suis venu, je n’avais vu ça nulle part sauf en Bretagne : il y avait parfois des week-ends avec 3 free parties à 15 km à la ronde. Et tout se passait bien alors que dans le sud, c’était plus dur, il y avait beaucoup plus de répression.

Quel est ton point de vue sur l’univers techno local ?
Ici, je trouve qu’une vraie culture electro a su s’installer naturellement, sans jamais trop de débordement, ni rien de grave. Dans l’ensemble, tout se passe bien alors qu’ailleurs, ils doivent souvent faire le forcing. Les médiateurs culturels semblent à l’écoute. Il n’y a qu’à Besançon où j’ai vu une grande place en pleine ville occupée par des gros sons electro pour la fête de la musique. Je n’y croyais pas. Quand je suis arrivé je voyais des trucs déments que je ne pensais voir qu’en Belgique, en Allemagne ou en Europe de l’Est. Aujourd’hui encore, il se passe des choses toutes les semaines. Apporter du son, monter un sound system, faire une free party : ici les gens savent faire, vite et bien. Et il y a beaucoup moins d’hostilité qu’ailleurs avec les autorités.

Et du point de vue de la scène ?
Il y a un vivier de très bonne qualité et pas mal de jeunes qui arrivent, à l’image de Pandhak. Dans l’ensemble, tous ceux qui font de l’electro produisent de bonnes choses, musicalement parlant. En electro, la Franche-Comté s’autosuffit ! Tout le monde se connaît et s’entraide. On peut penser que c’est normal, mais je peux dire que ce n’est pas le cas partout. Ici, il y a une certaine ambiance, un esprit techno très fort.

Penses-tu que la scène techno a pris le rôle subversif du rock qui, lui, s’est institutionnalisé ?
A un moment, peut-être. Mais au départ, il n’y avait pas de politique, pas d’idéologie. C’était simplement faire la fête pour faire la fête. Après, on s’est rendu compte qu’on entrait dans une case, sans le savoir, une case alternative, altermondialiste. Du coup, on a un peu viré politique. En fait, on a commencé gamins et puis on s’est cultivé, on a lu des bouquins, on a commencé à attirer des gens politisés et on y a trouvé un intérêt auquel on a adhéré. A la base, ce n’était pas le but.

Penses-tu que l’opinion de la société sur ce mouvement a changé ?
Il y a des préjugés. Déjà, le gratuit, c’est bizarre. Dès le départ, il y avait cette idée qu’il fallait bien qu’on gagne de l’argent, sinon ça ne pouvait pas fonctionner. Alors que c’était par nécessité : les gens n’avaient pas beaucoup de tunes donc cette culture s’est construite sur le gratuit ou le coût modique, le troc, le partage, le système D, l’idée de donner ce qu’on peut. C’est un milieu sans trop d’argent, ce qui a généré certains codes culturels. Par exemple, tu n’épates pas une teufeuse avec de l’argent ou une belle bagnole. Je trouve que c’est un milieu super positif par rapport à celui des fêtes conventionnelles ou des discothèques. Ce qui fait peur également, c’est les drogues. Il y en a, on ne va pas se voiler la face, mais pas plus qu’ailleurs. Et ce ne sont pas les mêmes. Au début, en France, on n’avait aucune connaissance donc cela a été mal géré alors qu’aux Pays-Bas par exemple, ça s’est beaucoup mieux passé. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de prévention. Surtout, il ne faut pas croire que c’est une condition. Certains viennent en rave sans fumer ni boire. Et c’est toujours un milieu sans argent. Il suffit de voir ce que prennent en poche ceux qui viennent en teuf : 20 euros, 50 maxi. Pas tout à fait la même chose que ceux qui vont en discothèque. Dans l’ensemble, je crois que les gens ont du mal à comprendre le besoin de se retrouver avec de la musique. Ils se disent qu'il faut bien qu’il y ait autre chose.

Recueilli par Stéphane Paris



Infos
fantoma.free.fr

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