mai 2015

Fondeurs d’art en Haute-Saône

A Saint-Sauveur, près de Luxeuil, on travaille pour le luxe et la création artistique. Pour perpétuer un savoir-faire méconnu, Bruno Redoutey a parfois du mal à trouver des jeunes.
Photo Laurent Cheviet
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Ils ont récemment vu passer Roman Abramovitch. Le patron milliardaire du club de foot de Chelsea est venu en brève visite aux fonderies de St-Sauveur, qui doivent lui fabriquer des luminaires de luxe. Il y a des pièces d’art issues de l'entreprise chez le roi du Maroc ou dans les Emirats. Des créateurs, des designers ou des artistes reconnus à l’image de Richard Texier font appel à la société basée près de Luxeuil. Les casques de pompiers du mémorial de Loriol, le minotaure sur le Doubs à Besançon ont été moulés ici.
«Le luminaire représentait 80 % de notre production à une époque. Mais il a fallu prendre des virages et se diversifier et aujourd’hui, c’est 15 %» relate Sylvie, la comptable de l’entreprise. Dans le monde du luxe et de la création artistique, l’entreprise est réputée. Ses clients lui sous-traitent des commandes dont 80 % part à l’étranger. Elle vient d’être labellisée «entreprise du patrimoine vivant». Elle compte 3 Meilleurs ouvriers de France.
Pour faire face à la crise, Bruno Redoutey, gérant des fonderies, a parié sur le haut de gamme. Des pièces uniques et un savoir-faire d’excellence, issu d’une tradition de fonderies haut-saônoises dont il reste une dizaine dans le département. A Saint-Sauveur, il a réuni trois entités, ajoutant les ateliers France-Bronze puis la fonderie Brunat à l’entreprise initiale qu’il a achetée en 1984. Cela lui permet de répondre à des demandes variées : luminaire donc, mais aussi poignées, pièces de meubles, bijouterie, sculptures. Du très petit comme du grand.

   "Nous cherchons souvent
   des jeunes pour les former"


L’entreprise compte aujourd’hui  30 salariés dont 80 % sont fondeurs ou mouleurs, manipulant du sable, du bronze et du laiton. «Nous cherchons régulièrement des jeunes pour les former mais on a du mal à en trouver. On voit tout de suite s’ils sont vraiment motivés, sinon de toute façon, ils ne restent pas. Il faut être physique, précis, s’entendre avec les anciens. Il faut prendre le rythme, avoir l’esprit d’équipe car ici, tout le monde tire dans le même sens».
Julien, 27 ans, Antony, 22 ans, Marine, 21 ans, Clément et Cédric, tous deux en contrat d’avenir, illustrent ces propos. Arrivés par bouche à oreille ou spontanément, ils apprennent leur métier avec les salariés expérimentés. Bruno Redoutey se réjouit de les voir s’intégrer, à l’image d’Antony dont le père est l’un des 3 MOF de l’entreprise ou de Julien, à une place prépondérante puisqu’il assure seul la maintenance des machines après avoir été formé à celles de l'agriculture. «Il faut tout surveiller en permanence, anticiper, changer les pièces avant que ça casse pour que la fonderie continue de tourner. C’est plus compliqué que du matériel agricole». Inventif, il a fabriqué une étuve pour la céramique en s’inspirant d’un procédé dérivé de l’aéronautique. Luxovien, il a un bac pro, suivi au CFA du bâtiment à Besançon. Après 3 ans dans l’entreprise, il la connaît par cœur, capable de détailler les tâches de chacun de ses collègues. «J’ai quitté mon boulot du jour au lendemain pour venir travailler ici. Je connaissais l’entreprise, ça m’intéressait plus. Ici, c’est motivant parce qu’on essaie tout le temps d’améliorer, d’évoluer». Polyvalent, il fait en quelque sorte office de lien entre toutes les étapes de la fonderie. Résumé des étapes : un client apporte un modèle en plâtre. On prend l’empreinte avec un élastomère, applique une cire sur laquelle on dépose une couche solide de céramique, on évacue la cire et il reste un moule en céramique dans lequel on va couler le métal. Entretemps, il y a la "coulée", le moment le plus spectaculeur du processus pendant lequel les fondeurs transvasent du bronze ou du laiton en fusion du four au moule.

   Formation
   sur place


Marine est arrivée récemment à l’atelier de cire où elle apprend le métier avec Mustapha, salarié depuis bientôt 10 ans. Marine a fait des stages en céramique à Dijon avant d’entendre parler de St-Sauveur. Elle aussi est de Haute-Saône. «J’ai postulé et on m’a embauchée. Ca va plutôt bien, ça me plaît et il y a une bonne ambiance. Il faut de la patience, de l’adresse, de la méticulosité» dit-elle à l'attention de ceux que cela pourrait intéresser.
Atelier suivant, même schéma : Clément apprend depuis un an à préparer le sable synthétique pour fabriquer des moules, auprès de Christophe. «Je suis mouleur dit ce jeune homme originaire de Baudoncourt. Mes journées commencent à 6 ou 7 h pour finir à 16 h. Dans l’ensemble ça se passe bien, ce n’est pas trop dur». «Mais il faut des années et des années d’expérience» précise Christophe.
«Il y a 3 ans, il n’y avait aucun jeune ici, annonce Bruno Redoutey. Mais les gens partent en retraite… ». L’une des difficultés du recrutement tient à ce qu’il n’y a plus de formation dans le domaine. Il faut anticiper, trouver la bonne personne et savoir que sur certains postes, il faudra plusieurs années avant qu’elle maîtrise la matière. Et encore, «même mon père, un meilleur ouvrier de France, me dit en apprendre encore après 30 ans» signale Antony Henriques. Un autre obstacle : «l’image de la fonderie c’est : sale, dégradant, on ne gagne rien regrette Bruno Redoutey. Mais ceux qui viennent acquièrent un réel savoir-faire. On travaille pour le luxe et la création artistique, cela donne une certaine fierté».

   Fierté du travail

Confirmation à l’atelier finition. Trois ciseleurs travaillent dans un grand espace lumineux. A chacun sa spécialité. Pour Serdar, c’est plutôt les grosses pièces, le cassage des marbres. James et Florian retouchent aux pièces plus petites, pour lesquelles il faut être méthodique et fin, patinent, ajoutent les couleurs demandées par les créateurs. Ils sont là depuis une dizaine d’années et sont passés par les autres ateliers de l’entreprise. Leurs mains sont les dernières à toucher les pièces avant expédition.
«On ne fait jamais la même chose. Les pièces d’art, c’est 8 maximum et 4 épreuves d’artiste numérotées. Au-délà de 12, cela devient de la production de masse» explique James en montrant une pièce qui doit finir dans un atrium parisien de l’architecte Louis Dreyfus. «Les artistes viennent souvent voir les pièces. Ils ont confiance en nous, c’est gratifiant». 
Bruno Redoutey montre l’exemple. Il est dans un domaine où travaillaient déjà son grand-père et son père. «Il lui arrive encore de faire les fusions annonce Sylvie. Il faut qu’il touche la matière». Il pousse le sérieux jusqu’à livrer lui-même les sculptures. «Par le passé, on a eu des objets cassés. Alors, on apporte nous-mêmes. Une sculpture est de notre responsabilité jusqu’à ce qu’elle soit fixée». Il aimerait trouver plus de jeunes à cette image : sérieux et fiers de leur travail. «On n’apprend pas assez aux jeunes à frapper aux portes des entreprises» regrette-t-il.

Stéphane Paris
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