mars 1990

«Vanité et profits détruisent l'humanité»

Un entretien exclusif avec le vulcanologue Haroun Tazieff.

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A 75 ans, Haroun Tazieff s'exprime avec une passion de jeune homme et la franchise rapeuse d'un homme plus à l'aise sur les pentes volcaniques que dans les salons. Il répond aux questions de Topo après en avoir posé une sur la couverture de son dernier livre : «la Terre va-t-elle cesser de tourner ?» paru chez Seghers.

Si vous aviez 20 ans, ou moins, aujourd'hui, seriez-vous écolo ?
Oui, puisque j'étais défenseur de la nature. On ne disait pas écolo, ni écologisme, ni environnement, à l'époque. On aimait la nature, chez moi, par le fait même on la protégeait, on la défendait. Mais elle était infiniment moins agressée qu'elle ne l'est. Il n'y a pas de commune mesure entre les agressions que la nature subit aujourd'hui, en réalité depuis 1945, et ce qui se passait dans mon enfance. En quarante-cinq ans, la nature a été plus agressée que pendant les siècles précédents, pendant toute la durée de l'humanité, c'est-à-dire deux millions d'années ! C'est un désastre, une agression monstrueuse qui nous conduit tout droit vers des cataclysmes.

   La planète s'en fout

Quand on est jeune aujourd'hui, il y a donc de quoi être inquiet pour la planète ?
Lorsqu'on parle de la planète je réagis mal. La planète se fout complètement de la vie qu'il y a dessus. C'est un astre sur la surface duquel il y a un film absolument imperceptible d'épaisseur qui est ce qu'on appelle la biosphère. Donc une sphère de vie dont nous faisons partie et que nous sommes en train d'agresser et de détruire.

Contrairement à certains, vous ne dites pas, sauvons la planète, mais sauvons l'humanité qui se détruit elle-même en polluant ?
Actuellement, notre comportement est une sorte de suicide collectif. Par imbécilité, par vanité, par souci de faire des profits. C'est le profit qui conduit à la destruction de l'humanité et le profit joue sur la vanité de l'homme. Celle-ci est une caractéristique négative très répandue, surtout dans les sociétés riches.

Qu'avez-vous envie de dire aux jeunes générations? Ne soyez pas vaniteux ?
Soyez, avant tout, le moins vaniteux possible. II faut lutter contre sa propre vanité. J'essaie de le faire depuis l'enfance. Le conseil que j'ai envie de donner est celui que ma mère m'a prodigué : il ne faut jamais que l'objectif de ce qu'on fait soit l'argent. Certes, il est indispensable. C'est le seul moyen avec lequel on puisse faire des choses. Mais ce n'est qu'un moyen. Il ne doit jamais êtré un but.

   Pas d'éthique

La société, aujourd'hui, ne vous donne-t-elle pas l'impression de faire une finalité de l'argent ?
Bien sûr, l'argent est une finalité dans notre société. Depuis que l'humanité est civilisée, entre guillemets, depuis qu'elle vit en société non nomade et non agricole, l'enrichissement apparaît comme un des moyens essentiels de se sécuriser. La vanité en est un autre, comme les honneurs, les médailles, toutes ces babioles...

Etes-vous décoré ? Avez-vous la Légion d'honneur ?
Je l'ai refusée trois fois déjà. Je ne pense pas qu'il y aura une quatrième proposition...

L'argent pour l'argent, la vanité sont, selon vous, très répandus dans la société d'aujourd'hui. Mais quelle est la valeur qui fait le plus défaut ?
C'est l'éthique.

Espérez-vous que les générations qui montent auront davantage d'éthique ?
Je le souhaite... 

Percevez-vous des signes, dans ces générations, d'un appétit d'éthique ?
Oui, mais la plupart du temps cet appétit disparaît quand les jeunes, quittant leur adolescence, entrent dans l'âpre lutte pour la vie, la compétition et l'université, au CNRS, au CEA, le nec plus ultra de la connaissance scientifique. Quand ils étaient à l'école, ils avaient de l'éthique. Il y a dix pour cent qui n'ont pas d'éthique et, de ce fait, arrivent plus haut que les autres parce qu'ils utilisent n'importe quelle méthode. C'est donc souvent des gens qui n'ont pas suffisamment d'éthique qui sont trop souvent, aux leviers de commande. C'est aussi vrai pour la politique.
   
   Trop d'arrivistes

Lorsque vous étiez au gouvernement, vous en êtes-vous rendu compte, entre 1981 et 1986 ?
Oui, j'ai été commissaire, puis délégué aux risques majeurs auprès du Premier ministre. Je ne regrette pas cette expérience mais je ne la recommencerai pas.

Vous avez été déçu ?
Oh là là... Quelle ouverture de paupières ! Des tas de gens sur lesquels je me faisais des illusions m'ont fait perdre ces illusions.

Les gens ne s'intéressent pas beaucoup à la politique et vous vous semblez désabusé par rapport à la politique, plus exactement au personnel politique...
Le personnel politique me déçoit car, une fois encore, ce sont les vanités et les arrivismes personnels qui jouent.

Si aujourd'hui on vous disait : Monsieur Tazieff, on vous prend au ministère de l'Environnement, que feriez-vous ?
Je dirais moi je veux bien mais c'est totalement impossible. Parce qu'un vrai ministère de l'Environnement devrait avoir un budget au moins égal à celui du ministre de la Défense ou de l'Intérieur ou de l'Education nationale. Il y a, en effet, énormément à faire à l'environnement et cela demande beaucoup de moyens et ça, on ne me le donnera jamais. Ou alors il faudrait un Gorbatchev, mais il n'y en a qu'un par millénaire dans le monde.

Vous rejoignez les reproches que font les Verts. Vous sentez-vous proche d'eux ?
Pas du tout. L'écologisme ne doit pas être un parti politique. Leur démarche est politicienne.

   Les milliards de la Défense nationale

Vous estimez que l'écologie ne doit pas être politicienne, ni récupérée par un parti ?
Si, l'écologisme doit constituer une part importante du programme de chaque parti politique. Pour qu'il y ait des élus qui défendent la biosphère, la nature, la vie dans la politique de leur parti. Cela dit, les partis se sont découvert une fibre écologique quand ils ont constaté qu'il y a 10 à 15 % d'électeurs à récupérer. Je voudrais que tous les partis, surtout les partis importants qui sont au pouvoir, prennent les problèmes de la vie avec le même sérieux que ceux de la Défense nationale qui n'a plus tellement de raison d'être et on ne consacre rien à la protection de la vie.

Vous êtes sceptique quand on vous parle de l'effet de serre et des trous dans la couche d'ozone. Selon vous, il n'y a pas de danger ?
Je n'y crois pas du tout. Je ne suis pas le premier scientifique à mettre en doute ce danger mais je suis celui qui a la possibilité d'être écouté par le grand public. Je ne crois absolument pas à cette menace. En tout cas pas à son immi-
nence.

Quelle est la menace imminente selon vous ?
Ce sont les pollutions. Sur terre, les déchets de toute nature, à commencer par les ordures ménagères. C'est une menace monstrueuse.

   Blablabla

Et les déchets nucléaires?
Aussi, mais c'est secondaire par rapport aux autres. Alors là, je m'en fous éperdument parce qu'on sait très bien, en y mettant les moyens, comment les stocker en profondeur dans une géologie convenable et il n'y a aucun risque. Mais les autres déchets augmentent de façon exponentielle. Il y a aussi la pollution des eaux, de toutes les eaux. Surtout les nappes phréatiques et les eaux marines. Les rivières c'est secondaire, on peut les dépolluer quand on veut.

Encore faut-il une volonté politique. Pensez-vous qu'elle existe ?
Ah non ! Il n'y a que du bla-blabla. A part Lalonde ce n'est que du blabla.

La situation est-elle réversible ?
Pour le moment, elle l'est. Mais à la vitesse à laquelle croit la pollution dans moins de vingt ans il y aura des quantités de choses irréversibles, notamment dans les océans et dans beaucoup de nappes phréatiques.

Les jeunes générations vont être confrontées à de graves problèmes d'environnement ?
Nous aussi. D'ici à l'an 2000 à la vitesse avec laquelle elle s'accroît, la pollution ce sera peut-être dix fois pire qu'aujourd'hui. La preuve que ça va mal : les Etats consentent à parler d'ordures. Ils ne font rien mais ils en parlent. C'est un début...

Recueilli par Francis Loridan
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